[Conférence] L'émigration basque et béarnaise en Amérique
13/10/2022 15:00

Conférence n° 4

L'émigration basque et béarnaise en Amérique

par Mmes Lili Casassus et Régine Péhau-Gerbet et M Pierre Castillou

Conférence organisée par Jean-Marie Florès

Jeudi 13 octobre, à la Médiathèque André Labarrère de Pau, à 15h00.

Regards sur l'émigration pyrénéenne aux Amériques.


L’émigration pyrénéenne s’inscrit dans le grand mouvement de peuplement du continent américain essentiellement au XIX ème siècle mais aussi au début du XXème.
Mme Régine Péhau prend tout d’abord la parole pour nous présenter plusieurs regards sur cette émigration.

L’émigration pyrénéenne s’est étalée dans le temps, beaucoup au XIX ème siècle mais aussi bien avant. La première vague migratoire démarre au moyen âge, du Béarn vers l’Aragon. Ces migrations seront saisonnières ou définitives, elles poseront les jalons pour l’aventure américaine.
Au XVIIIème siècle, ce déplacement des populations pyrénéennes est sélectif, vers les Antilles, Saint Domingue notamment. C’est une bourgeoisie commerçante, exploratoire qui implante des comptoirs, des négoces ou acquiert des plantations puisqu’on y cultive la canne à sucre. La moitié des colons blancs aux Antilles sont originaires d’Aquitaine. Ces aquitains vont donner un élan à un courant nouveau.
Au cours du XIX ème siècle, l’Europe va s’accroître considérablement d’un point de vue démographique puisqu’on va passer de 187 millions d’habitants en 1800, à plus de 400 millions au-delà de 1900. 60 millions d’européens vont émigrer vers les Amériques. Ce phénomène de très grande ampleur est facilité par la révolution des transports. Les départements qui comptent le plus de partants sont des départements côtiers, en périphérie de l’hexagone mais il y en a un qui bat tous les records c’est le 64 qui correspond à l’époque, aux Basses Pyrénées. Entre 1830 et 1920, 120 à 130.000 pyrénéens vont partir en direction de tout le territoire américain. Cette migration est multi directionnelle, vers l’Amérique du sud dans un 1er temps, l’Uruguay puis l’Argentine, et en raison de la crise de ces gouvernements, vers l’Amérique du nord.

Destination des émigrants partis des Basses-Pyrénées et répertoriés dans la base de données de l’AME
Amérique du nord 24 %
Amérique centrale 3 %
Amérique du sud 73 %

Qui sont-ils ces pyrénéens partis, pour la plupart du port de Bordeaux ? Toutes les couches de la population sont touchées, en particulier les gens les plus modestes à savoir les paysans mais également les petits commerçants, les artisans, les domestiques.
Des individus jeunes, la tranche 16-19 ans étant la plus représentée. Globalement les plus nombreux sont les 16 -30 ans. Des hommes en majorité mais des femmes également, les traversées étant plus sécurisées, le bateau à moteur ayant surpassé le bateau à voile. Le nombre des familles s’agrandira à la fin du XIX ème s.

Pourquoi partir ? D’abord pour des raisons économiques. Les exploitations agricoles familiales sont exigües et le droit d’aînesse perdure malgré le code napoléonien. Cependant cette émigration n’est pas que celle des cadets, les aînés partent aussi. Ce n’est pas une émigration de la misère car il faut un petit pécule ou que les familles soient solvables. Ce n’est pas non plus une émigration de fuite. C’est une émigration d’espoir, l’espoir de faire fortune, de changer de vie, d’avoir une vie meilleure. L’espoir aussi de revenir avec de l’argent, de « faire l’Américain » au village ou d’échapper à la tutelle familiale, au poids social.
Autre raison : pour échapper au service militaire. Au XIX ème siècle il est long et éprouvant. Entre 1818 et 1868 selon les périodes un soldat fera 5, 6, 7 ou 8 ans de service. Comme on ne peut pas regrouper tous les jeunes d’une même tranche d’âge, on procède au tirage au sort. Jusqu’en 1872 les plus fortunés pourront « acheter un remplaçant ». A partir de 1872 on tirera au sort la durée (5 ou 1 an). Le service ne sera universel qu’en 1905. C’est la raison pour laquelle certains jeunes hommes partent avant leurs 20 ans. On les appellera « Les insoumis ». Passibles d’une peine de prison et de l’obligation de faire leur service militaire s’ils reviennent sur le sol français, nombre d’entre eux ne reviendront pas. Il en est de même pour les jeunes partis enfants car leur avenir n’est plus en France pour eux. L’émigration prime sur l’insoumission !
Autre élément qui peut encourager ces jeunes hommes à partir, c’est la politique d’incitation des pays d’accueil qui comme l’Uruguay souhaitent recruter les pyrénéens parce qu’ils représentent une main d’œuvre vaillante, qui a du savoir faire, adaptable et en plus bilingue. En 1855 l’Argentine met en place une politique de colonisation très offensive pour occuper les immenses territoires de la Pampa, en donnant une parcelle de terre dans le but de créer des colonies agricoles. Ils recrutent également des ouvriers, des domestiques faisant miroiter un prix de voyage réduit et un travail rémunéré.
Dernier élément d’incitation, la propagande des agents d’émigration. Ils sont très nombreux dans les Basses Pyrénées. Cette profession sera réglementée dès 1855-1860 pour éviter les dérives et les malhonnêtetés. Ils sont dénoncés par les pouvoirs publics parce que ce recrutement dépeuple les campagnes de ses valeureux paysans et valeureux soldats, et met en péril le sentiment religieux et la conservation morale des compatriotes selon l’église.

Odile SIEPER

Après les bateaux à voile et à partir de 1901, les steamers des deux principales compagnies qui assurent le transport de ces émigrants sont pour l’Amérique du sud, la Cie des Messageries Maritimes ancrée à Bordeaux et pour l’Amérique du nord et l’Amérique centrale, la Cie Générale Transatlantique ancrée au Havre et St Nazaire. Les émigrés voyagent la plupart du temps en 3ème classe, la classe "d’entre ponts", dans des dortoirs où règne la promiscuité, les épidémies. A leur arrivée, ils sont pris en charge pendant 6 jours comme à Buenos-Aires à "L'Hôtel des Immigrants". Il ne faut plus que 6 jours pour traverser l'Atlantique du Havre vers New-York, et les bateaux peuvent désormais transporter jusqu'à 1400 passagers. L'ouverture du canal de Panama en Octobre 1913 va grandement raccourcir la durée du voyage pour les candidats à l'émigration vers la côte Pacifique.
Le seul lien avec sa famille qui reste à l’émigré arrivé, c’est la lettre.

Puis nos conférenciers choisissent deux exemples d'émigrés, celui de Charles Bié et celui de Pierre Mon.
Peu avant ses 20 ans, en 1855, Charles Bié est parti de Louvie-Juzon, rejoindre des amis dans la campagne de Buenos-Aires. Avec sa jeune femme, ils commencent à élever quelques vaches. Lui part tôt tous les matins vendre le lait dans la grande ville. Mais pour éviter d'aller et venir, il s'installe bientôt sur une parcelle près du port, avec davantage de vaches, et fera sa fortune comme "laitier indépendant". Un autre laitier comme Vincent Casarès, ancêtre de l’écrivain argentin Adolfo Bioy Casares, aura l'idée d'une "laiterie industrielle" et ouvrira jusqu'à 700 crémeries réparties sur tout le pays.
Pierre Mon (1872-1919) part en 1900 du Barétous vers San Francisco, avec l'idée de faire fortune, revenir au pays et vivre de ses rentes. Arrivé à San Francisco, il retrouve d'autres gens du pays, épouse en 1902 Marie-Jeanne Casabonne, et met en place des blanchisseries. Malgré le tremblement de terre de 1906 (3000 morts, 80% de la ville détruite), il décide de rester en Amérique, obtient la nationalité américaine en 1913, et fait venir la famille. Mais celle-ci sera décimée par la grippe espagnole en 1919. Ne survivra que l'une de ses filles.

Nicole de BROIN

A propos de l’expression « Faire l’américain »
Jean-Marie Flores , président d’ABBAN ajoutera que l’Argentine en 1888 offrait aux paysans espagnols et basques qui partaient de Porto, la gratuité du voyage ainsi qu’à leur arrivée, une terre et de l’argent pour acheter outils et semences….
En Espagne on les appelait « Los Indianos »

L’Association pour la Mémoire de l’Emigration (AME) travaille à rétablir le lien familial entre la branche béarnaise ou basque et la branche argentine, californienne ou chilienne.
Elle publie tous les 6 mois une revue « PARTIR »
Site ame.memoire-emigration.org
Pour une recherche écrire à presidence@memoire-emigration.org


Quelques photos ici.